Le vide poches du planneur strategique édité par jérémy dumont. Un blog de veille PSST www.PSST.fr

04 mars 2021

ANT, Théorie de l’Acteur-réseau: sociologie de la traduction – M. Akrich, M. Callon, B. Latour

Définition des principaux concepts

Pour la théorie de l’Acteur-réseau, le succès ou l’échec d’un projet innovant ne dépend pas des caractéristiques intrinsèques d’une innovation mais d’un réseau capable de lier ensemble des « actants » hétérogènes. Les onze chapitres de l’ouvrage « Sociologie de la traduction, textes fondateurs » (Akrich, Callon, Latour 2006) sont aujourd’hui en ligne.

1. L’innovation dans (et par) un Acteur-réseau: les « Actants » et les traductions successives

Destinée au départ à l’étude de l’innovation dans les réseaux scientifiques (voir Callon et Ferrary, 2006), la Sociologie de la traduction est aussi appelée ANT Actor-Network Theory (voir Akrich, Callon et Latour, 1998, 2006), car :

  • elle remplace la soi-disant pureté des  » faits » et innovations scientifiques par la réalité de traductions successives entre différents registres en présence (comme par exemple dans le cas de la voiture électrique  : traductions entre les logiques techniques, sociales, économiques et organisationnelles, voir Callon 1979);

  • elle remplace la soi-disant pureté de l’organisation par la réalité de réseaux hétérogènes produits par des « actants » : des actants humains, mais aussi des actants non-humains (la technologie, les lieux, les dispositifs…), voir La sociomatérialité. Un réseau technico-économique est lui-même un actant, quand il devient un tourbillon créateur dans lequel « la mayonnaise de l’innovation » peut prendre corps (comme dans le cas « fondateur et historique » de la domestication des coquilles St Jacques et des marins-pêcheurs, voir Callon 1986) ou ne pas prendre corps (comme par exemple dans le cas du photo-voltaïque, voir Akrich, Callon et Latour, 2006). Voir cette vidéo de présentation, qui met notamment l’accent sur le rôle des objets-frontières dans la construction d’une innovation:

2. Le tourbillon de l’innovation, la mobilisation des Actants à travers les controverses

L’innovation n’apparaît pas ici comme une diffusion linéaire (comme dans l’analyse de E. Rogers avec la Théorie de la diffusion), mais comme le résultat complexe d’une interaction entre des partenaires hétérogènes. Il s’agit alors d’identifier les jeux de mobilisation des actants qui participent à l’élaboration de l’innovation. Le réseau, lui-même considéré comme un acteur-actant, est un dispositif d’intéressement :

  • dans un premier temps (la problématisation et les alliances), il s’agit de prendre en compte, dès le début d’un projet, l’ensemble des actants concernés par le projet. Les entités humaines (directions, utilisateurs, prestataires techniques, spécialistes…) comme les entités non-humaines, (objets, outils, dispositifs…), tous participent conjointement à la construction de l’innovation (voir Rorive 2003, voir Barbier et Trépos 2007);

  • dans un deuxième temps (l’intéressement et l’enrôlement), il s’agit d’identifier les acteurs appelés à jouer le rôle clé de porte-paroles, c’est-à-dire capables de « traduire » les différents intérêts en présence d’un registre à l’autre (logique technologique vers logique de métier, par exemple) : voir Hussenot (2006) sur les « boucles d’intéressement », voir Walsh et Renaud (2010) sur le « changement traduit » (voir dans Conduite du changement);

  • dans un troisième temps (la mobilisation), le réseau se consolide ou s’affaiblit en fonction des épreuves de force qui s’engagent. Il s’agit alors de les identifier, à travers les différentes controverses qui marquent le réseau (voir Baillette et al. 2012). La controverse est ici décrite comme un mode d’expression des groupes concernés : expression de leurs intérêts et de leurs identités, mise à plat des problèmes posés et des solutions envisageables, reformulation des objectifs. Les controverses (et les compromis) sont alors des repères pour identifier la dynamique du réseau et l’évolution de sa convergence ou de sa divergence : voir la thèse de S. Missonier en 2008 ou sa publication dans Meier et al. en 2012.

     

    Enfin dans le cadre de l’innovation en réseau, voir aussi  les théories de la Vision organisante, de l’Open innovation, du Lead-user et de L’improvisation organisationnelle.

     .

    Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI

    Voir la carte générale des théories en management des S.I.

Rédigé le 04 mars 2021 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments

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Les rétroactions : définition et rôle dans l’apprentissage

Information

  • Auteurs : Philippe Dessus, LaRAC & Inspé, Univ. Grenoble Alpes. Le quizz a été réalisé par Emilie Besse, projet ReFlexPro.
  • Date de création : Décembre 2015.
  • Date de modification : 10 février 2021.
  • Statut : Terminé.
  • Résumé : Ce document donne quelques définitions à propos des rétroactions, notamment en lien avec l’apprentissage, et examine leurs critères d’efficacité. Il décrit ensuite les grands types de guidages pouvant aider l’apprentissage, et discute de leur source : l’enseignant ou la machine.
  • Licence : Document placé sous licence Creative Commons : BY-NC-SA.

Introduction

Comme l’indiquent Boud et Molloy [Boud & Molloy, 2013], les travaux sur les rétroactions se sont longtemps centrés sur la manière dont elles étaient diffusées aux élèves. Plus récemment, la recherche se centre sur leur influence sur ce que les élèves font. Ainsi, il ne suffit pas de procurer des rétroactions bien formées, c’est-à-dire respectant des principes de conception (voir Rédiger des items de QCM) : il convient de se demander ce que les élèves vont faire de ces rétroactions et de vérifier ce qu’ils ont appris.

Une définition de la rétroaction

Débutons par une définition simple de ce qu’est une rétroaction (feedback) [Ramaprasad, 1983], p. 4 : “Le feedback est une information à propos de l’écart entre le niveau courant et le niveau de référence d’un paramètre du système ; cette information est utilisée pour modifier l’écart d’une certaine manière”. Cet auteur ajoute (p. 5) : “Si l’information à propos de l’écart est simplement enregistrée sans être utilisée pour modifier l’écart, ce n’est pas une rétroaction” et indique également (ibid.) :

  • que le contenu du feedback peut être n’importe quel paramètre du système (input, processus ou output) ;
  • que les conditions requises pour qu’il y ait feedback sont 1/ la présence d’informations sur le niveau courant du système, 2/ des informations sur le niveau à atteindre, 3/ un mécanisme pour comparer les deux niveaux. Il ne peut y avoir de rétroaction si l’un de ces trois éléments est manquant.
  • l’information sur l’écart entre les deux niveaux ne peut être considérée comme une rétroaction que si elle est utilisée pour modifier cet écart.

Cette définition permet de distinguer ce qu’est une rétroaction d’autres formes plus générales de commentaires qu’un enseignant peut faire à ses élèves, comme des conseils, des félicitations, ou des évaluations. Ainsi, un commentaire ne peut être considéré comme une rétroaction que s’il comporte une information sur la manière dont l’élève travaille pour atteindre un but (le niveau de référence ci-dessus, voir aussi [Wiggins, 2012]). D’autre part, Wiggins [Wiggins, 2012] signale aussi que la rétroaction n’est pas toujours émise intentionnellement (par exemple, un élève peut très bien chercher des signes non-verbaux d’approbation de l’enseignant, dont certains peuvent être non intentionnels).

Le contexte scolaire vu comme une série de boucles de rétroactions

Le contexte scolaire, comme la plupart des contextes de travail, peut être vu comme l’imbrication de nombreuses boucles de rétroactions. Albertos et Mareels [Albertos & Mareels, 2010] (p. 5) le présentent dans la figure ci-dessous. L’enseignant reçoit des contraintes (et des rétroactions) de l’administration et de ses pairs (experts). Il procure différentes rétroactions à ses élèves qui, en retour, lui en procurent.

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Figure 1 : Le contexte scolaire et ses boucles de rétroactions [Albertos & Mareels, 2010] (p. 5).

Rétroactions et apprentissage

Une reformulation de cette définition dans un contexte scolaire a été faite par Hattie et Timperley [Hattie & Timperley, 2007], qui montrent que les rétroactions peuvent porter sur trois types d’éléments :

  1. où vais-je ? (feed-up) (quels sont les buts que je poursuis ? comment saurai-je que je les ai atteints ?) ;
  2. comment y vais-je ? (feed-back) (quels progrès ai-je réalisés vers ce but ?) ;
  3. quoi faire ensuite ? (feed-forward) (quel travail dois-je faire ensuite, lorsque j’aurai réalisé les buts poursuivis ?).

Le lien avec la précédente définition générale des rétroactions est assez simple à faire. Le premier item renvoie bien sûr au niveau de référence à atteindre. Le deuxième item nécessite d’avoir des informations sur le niveau courant et sur le mécanisme permettant de passer ce ce niveau au niveau de référence. Le troisième item, quant à lui, permet de trouver un but ultérieur. Penchons-nous maintenant plus précisément sur ce qui fait qu’une rétroaction est efficace.

Une étude récente [Brooks et al., 2019] a visé à observer, en classe de cours élémentaire (12 leçons d’Anglais), l’occurrence de chacun de ces trois types de feedback. Elle montre que le feed-back (état des progrès) est la rétroaction la plus donnée (env. 1 rétroaction sur 2 est de ce type), la moins fréquente étant l’information sur “que faire ensuite” (feed-forward).

Quelques caractéristiques d’une rétroaction

Quelles sont les principales caractéristiques d’une rétroaction ? Comment la distinguer d’un conseil, d’un encouragement, ou même d’une évaluation ? Comme dit plus haut, la rétroaction donne des informations sur le but qu’on poursuit (ou devrait poursuivre). Wiggins [Wiggins, 2012] en a répertorié quelques-unes. Une rétroaction devrait être :

  • orientée par les buts : le but de l’action qu’on poursuit ou devrait poursuivre est indiqué dans la rétroaction ;
  • orientée vers l’action : une rétroaction efficace est concrète, spécifique et utile, donc orientée vers l’action. Elle doit présenter, pour cela, des informations les plus objectives possible, neutres qui vont permettre à l’apprenant d’agir efficacement ;
  • compréhensible par l’apprenant : une rétroaction efficace ne doit pas être obscurcie par un vocabulaire ou des considérations trop techniques ;
  • présentant des informations claires : la rétroaction sera d’autant plus efficace qu’elle ne sera pas ambiguë pour l’apprenant, et donc qu’il pourra l’interpréter et en tirer profit pour améliorer sa performance ;
  • juste-à-temps : une rétroaction efficace est fournie “juste-à-temps”, c’est-à-dire le plus tôt possible, sans bien sûr gêner la performance elle-même ;
  • formative : une rétroaction efficace est inscrite dans un processus qui permet à l’apprenant, une fois qu’il l’a obtenue, de modifier son comportement pour améliorer sa performance, et donc parvenir plus aisément aux buts qu’il s’est donné. L’important est donc qu’il apprenne de ses erreurs en les corrigeant, et les rétroactions peuvent les y aider ;
  • cohérente : une rétroaction est efficace si elle est apporte des informations cohérentes dans le temps (stables, précises et donc dignes de confiance). L’utilisation de grilles de critères pour donner des rétroactions ayant ces qualités est donc préconisée.

À quels niveaux interviennent les rétroactions ?

Le rétroactions interviennent à plusieurs niveaux [Enard, 1970] :

  • dans le guidage de l’activité de l’élève, lorsque les rétroactions se situent pendant l’activité ;
  • dans la connaissance évaluative de sa performance.

Les activités d’évaluation (comme celles de production, voir le Document Les rétroactions informatisées) pouvant être assistées par informatique sont très nombreuses, mais dépendent du type de pédagogie mise en œuvre par l’enseignant ([Erstad, 2008]). Dans une perspective behavioriste, l’essentiel est que l’élève s’exerce avec de nombreux problèmes répétitifs et les réussisse selon des critères bien définis. Des questionnaires à choix multiple ou bien des tests associant questions et réponses sont dans cette perspective. Dans une perspective constructiviste, l’élève est vu comme plus actif, réalisant des activités de haut niveau (rédaction de textes libres, construction de portfolios), dans des contextes authentiques (e.g., projets, enquêtes), et réfléchissant à ses performances.

Si l’on s’intéresse à des moyens informatisés de réaliser des rétroactions (voir Document Les rétroactions informatisées), la majorité des logiciels existants s’insèrent beaucoup mieux dans une pédagogie behavioriste, principalement parce que le type de retours (rétroactions) donnés par ordinateur correspondent bien à ses principes (voir Tableau 1 du Document Des tâches pour évaluer les connaissances des élèves), bien qu’il existe de plus en plus de logiciels permettant un travail dans une perspective constructiviste (mais pas toujours évalués par le logiciel lui-même).

Les effets du guidage sur l’apprentissage

De nombreuses recherches (voir [Hattie, 2009][Black & Wiliam, 1998][Pianta et al., 2008]) montrent que l’une des manières les plus sûres d’augmenter l’apprentissage des élèves est de leur procurer de fréquents guidages, individualisés et en temps réel, et que cela est d’autant plus bénéfique pour les élèves de faible niveau.

Toutefois, procurer un tel guidage est coûteux en temps, en énergie, et assez souvent se centre beaucoup plus sur des aspects sommatifs (rendre compte de la performance des élèves à des exercices ou des tests) plutôt que formatifs (d’aider les élèves à réaliser cette performance, les étayer).

Gerard et ses collègues [Gerard et al., in press] ont montré très récemment, dans la ligne des observations précédentes, que les dispositifs de guidage automatique ont un effet supérieur au guidage par l’enseignant, spécifiquement pour les élèves de niveau de connaissance bas ou moyen. Cela permet à ces élèves d’avoir, par des moyens automatisés, un peu plus de guidage que celui qu’ils obtiendraient seulement de leurs enseignants, à leur demande. À l’inverse, les élèves performants bénéficient plus du guidage de leur enseignant que celui de rétroactions automatiques.

Des rétroactions qui guident l’auto-régulation

Nicol et Macfarlane-Dick [Nicol & Macfarlane-Dick, 2006] (voir [Lambert et al., 2009] pour des exemples) ont listé les caractéristiques des rétroactions efficaces pour l’apprentissage : elles doivent guider l’auto-régulation des élèves (p. 205) :

  1. Aider à clarifier ce qu’est une bonne performance (buts, critères, standards attendus).
  2. Faciliter le développement de l’apprentissage auto-régulé (réflexion).
  3. Donner aux étudiants une information de haute qualité sur leur apprentissage.
  4. Encourager le dialogue enseignant-élèves et entre élèves à propos de leur apprentissage.
  5. Encourager la motivation et l’estime de soi.
  6. Procurer des opportunités de réduire l’écart entre la performance courante et la performance visée.
  7. Utiliser les rétroactions pour améliorer son enseignement (elles ne servent pas qu’à l’élève).

http://espe-rtd-reflexpro.u-ga.fr/docs/scied-cours-qcm/fr/latest/retro_defs.html

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09 février 2021

Une foule est-elle aussi subtile qu'une colonie d'insectes ? L'éthologue Guy Theraulaz compare l'intelligence collective de l'homme et l'animal.

"Chez les fourmis, la perception de la densite depend de la frequence des contacts entre les individus."

"Chez les fourmis, la perception de la densité dépend de la fréquence des contacts entre les individus."

© CAIA IMAGE / SCIENCE PHOTO LIBRA / NEW / Science Photo Library

Les moutons ne méritent pas le mépris dont l'homme les couvre. Pas plus que les fourmis, pas plus que les poissons. Chez les insectes sociaux comme chez les animaux grégaires, des règles extrêmement sophistiquées régissent les interactions entre individus, qui permettent un fonctionnement harmonieux du groupe. L'homme peut-il tirer des leçons de ces processus d'organisation spontanée ? Et les foules elles-mêmes sont-elles si éloignées des bancs de sardines ou des nuées d'oiseaux ? Guy Theraulaz, directeur de recherche au CNRS, travaille au Centre de recherches sur la cognition animale à Toulouse. Spécialiste des comportements collectifs des sociétés animales et humaines, il nous éclaire sur la façon dont les groupes s'auto-organisent… avec plus ou moins de succès.

Le Point : Des boulevards embouteillés, des bousculades sur les quais de métro… Quelle analyse l'éthologue que vous êtes fait-il des circulations erratiques que connaissent les grandes villes par temps de grève ?

Guy Theraulaz : L'impact de la densité sur les comportements collectifs est étudié depuis longtemps, qu'il s'agisse de foules humaines, d'insectes sociaux ou de certaines espèces d'oiseaux ou de poissons qui vivent en groupe. Avec une constante : ce qui régit les dynamiques collectives, ce sont les interactions entre les individus. Celles-ci résultent des réactions des individus aux comportements d'autres congénères situés dans leur voisinage, et aux traces que ceux-ci laissent dans l'environnement. Rappelons par ailleurs que les forces auxquelles les individus sont confrontés dépendent de leur taille. Les fourmis, par exemple, ne vivent pas dans le même monde que nous : elles subissent peu l'effet de la gravité, mais sont sensibles à d'autres forces qui n'ont pas d'influence sur l'homme, comme les forces électrostatiques, et leurs comportements collectifs sont en grande partie guidés par des phéromones qu'elles déposent sur le sol.

L'analogie est néanmoins possible entre une foule humaine et une colonie de fourmis ?

Il serait plus pertinent de comparer les mouvements de foules aux déplacements collectifs observés dans les bancs de poissons ou les nuées d'oiseaux, dans lesquels sont préservées des distances qui permettent aux individus d'éviter d'entrer en collision tout en suivant exactement les mouvements de ceux qui les entourent. Ce qui ne se produit évidemment pas dans une foule humaine… Il faut dire que, là encore, les oiseaux n'ont pas la même perception de l'espace que nous : à l'inverse de l'homme, ils ont une meilleure appréhension de ce qui se passe sur les côtés que de ce qui se passe à l'avant. Et on ne trouvera jamais chez eux des densités aussi importantes que celles que l'on peut rencontrer dans les sociétés humaines. L'analyse des vidéos de grands rassemblements, comme lors du pèlerinage annuel de La Mecque, a mis en évidence des phénomènes de seuil de densité très nets qui déterminent des formes de comportement collectif très différentes. À partir de quatre piétons par mètre carré, le déplacement de la foule perd sa fluidité pour laisser place à des vagues successives de mouvements vers l'avant qui sont entrecoupées par des phases durant lesquelles le mouvement s'arrête. Cet effet appelé « stop-and-go » est bien connu des experts du trafic automobile et il s'explique très simplement. De petites perturbations locales de la vitesse de déplacement des piétons vont être amplifiées et entraîner un ralentissement global qui se propage dans le sens opposé au flux. Quand on dépasse sept piétons par mètre carré naissent des phénomènes de turbulence dangereux, où les individus perdent la maîtrise de leur propre mouvement et où la foule tend à se comporter comme un fluide. On voit alors apparaître des zones dans lesquelles les piétons avancent et reculent dans toutes les directions de manière chaotique. Ces phénomènes peuvent déséquilibrer certains piétons, entraîner leur chute et leur piétinement par la foule. Avec des conséquences parfois tragiques, comme lors de la Love Parade de Duisbourg, en 2010, au cours de laquelle 21 personnes sont décédées et plus de 500 autres ont été blessées.

On a vu les Franciliens bouder tous ensemble la voiture au premier jour de grève, puis tâcher d'anticiper les embouteillages avec pour seul résultat de créer des bouchons avant l'heure de pointe… N'échappe-t-on jamais au troupeau ?

L'homme est un animal social, chez qui existent de nombreux comportements collectifs reposant sur l'amplification d'informations et sur des effets mimétiques. Ces phénomènes tendent à se renforcer du fait de la concentration des populations dans les zones urbaines. En 1950, seulement 30 % de la population mondiale vivait dans des villes. Aujourd'hui, c'est 55 % et on estime que ce sera 68 % d'ici 2050. Dans le même temps, les interactions se sont multipliées grâce aux nouveaux médias, qui amplifient ces comportements mimétiques. Ceux-ci ont sans doute eu un rôle adaptatif précieux au cours de l'évolution. Chez certains animaux grégaires, ils permettent ainsi un fonctionnement coordonné du groupe. Dans un troupeau de moutons, par exemple, on observe que la façon dont les individus s'imitent les uns les autres permet de maximiser l'espace de pâture tout en minimisant le temps nécessaire pour se regrouper en cas de danger. L'homme est encore loin de cette faculté d'adaptation ! Dans le cas dont vous parlez, le problème résulte du fait que chacun réagit à ce qu'il suppose être le comportement des autres et suit donc la même règle, faute d'une information en temps réel qui permettrait d'introduire une certaine variabilité dans les réponses. Cette variabilité est au contraire très présente chez les insectes : ainsi chez les bourdons, quand il s'agit de ventiler pour thermoréguler un nid, chaque individu réagit à une température différente, ce qui permet d'éviter que tous aient le même comportement au même moment. Il faudrait imaginer des outils qui permettent de donner des informations à la collectivité de façon à ce que chacun puisse construire sa propre réponse, tout en permettant à l'ensemble de coordonner ses activités de manière plus efficace. Il en existe déjà quelques-uns, on pense par exemple à des applications comme TripAdvisor, où l'on peut exploiter les avis et les choix d'autres clients pour prendre ses propres décisions… Sauf que le type d'information qui est délivré ne reflète pas forcément la valeur intrinsèque du produit ou du service ; il y a souvent des biais d'échantillonnage, avec une minorité active qui fabrique la majorité des évaluations. Sans compter les fausses informations, parfois difficiles à déceler !

Comment les insectes que vous observez réagissent-ils, eux, à la densité ?

Chez les fourmis, la perception de la densité dépend de la fréquence des contacts entre les individus. Dans le nid, si le taux de contacts dépasse une certaine valeur, certaines ouvrières se mettent à creuser afin d'accroître l'espace disponible. Sur les pistes, en outre, les individus échangent des informations sur la qualité de la source de nourriture, comme la concentration en sucre s'il s'agit d'eau sucrée… En fonction de ces informations, certains individus renoncent à suivre le mouvement. On observe la même chose chez les abeilles : pour une même concentration d'eau sucrée, certaines ouvrières exécuteront une danse de recrutement frénétique, d'autres non. En somme, il existe des interactions entre individus très sophistiquées qui permettent de coordonner l'activité collective de la colonie. Ces processus d'auto-organisation spontanée peuvent d'ailleurs aussi être observés chez l'homme. Dans une foule, par exemple, chaque individu va avoir tendance à la fois à se diriger vers les espaces libres, et à suivre la personne qui la précède : des files se forment ainsi spontanément. Tout notre travail consiste à comprendre ces interactions, à les mesurer, à observer comment elles affectent les individus et enfin à les modéliser. Nous cherchons ainsi à comprendre comment certaines formes d'intelligence collective peuvent naître d'échanges pourtant très circonscrits entre les individus d'un groupe.

On est revenu, en tout cas, de la thèse que développait Gustave Le Bon dans sa Psychologie des foules, l'idée d'un groupe où les individus viennent se fondre en abdiquant toute rationalité ?

En effet ! L'anthropologue Francis Galton parlait, tout au contraire, d'une « sagesse des foules ». Il l'observait à son époque, le début du XXe siècle, dans des foires où l'on demandait à un groupe d'estimer le poids d'un bœuf : l'estimation collective résultant de l'agrégation des estimations individuelles était étonnamment proche du poids réel. Mais la foule est encore bien plus complexe qu'il ne semble. Il existe en effet une grande diversité dans la sensibilité des sujets qui la composent à l'information sociale. On a pu identifier cinq principaux profils de réponse : un individu peut suivre l'opinion du groupe, l'amplifier, la contredire, faire un compromis entre l'opinion du groupe et la sienne, ou conserver sa propre opinion. Et ces cinq types de réactions se retrouvent en proportions similaires où qu'on les étudie, en France et au Japon par exemple. Il est tout à fait possible d'en tirer des modèles mathématiques qui permettent de prédire la réaction d'un groupe. On a pu notamment montrer que l'échange d'information sociale entre des individus d'un groupe permet d'accroître collectivement leur performance et la précision de leurs estimations. De même que l'on peut maintenant, grâce à d'autres modèles, prédire le comportement d'une foule qui se déplace.

 

Source https://www.lepoint.fr/societe/embouteillages-cohues-sages-comme-des-fourmis-13-12-2019-2353052_23.php

Rédigé le 09 février 2021 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments

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Georges Lewi : « C'est le moment ou jamais de calculer la valeur financière de vos marques ! »


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Paradoxe ! La marque est un actif stratégique valorisable mais les entreprises y pensent rarement lorsqu’elles ont besoin de renforcer leurs fonds propres et de valoriser leur potentiel. En 2021, de nombreuses entreprises vont devoir « restructurer leur bilan », se rapprocher, se vendre ou acheter d’anciens concurrents. Réflexions économiques du spécialistes des marques, et fondateur de Valomarques, Georges Lewy à prendre très au sérieux...

 

On connaît 3 grandes méthodes pour valoriser cet actif stratégique qu’on appelle la marque. Celle des megabrands, la méthode comptable et la méthode marketing. Des cabinets internationaux comme Interbrand, Brand finance… valorisent, pour les grands groupes, les megabrands, les « best global brands » . Apple, Amazon, Google, Microsoft, Samsung, les 1ers de la classe valent plus de 100 milliards $. Louis Vuitton et Chanel suivent. Ces cabinets utilisent une centaine de critères et valorisent les « marques milliardaires », présentes de façon équilibrée sur tous les continents.

 

 

Les PME et les ETI sont exclues de cette valorisation

 

Mais les PME, les ETI comme les marques iconiques à plus petit chiffre d’affaires sont exclues de cette valorisation. Les experts comptables proposent, eux, une méthode fondée sur le bilan de l’entreprise, essentiellement sur le passé en utilisant 3 paramètres, la valorisation par les revenus, par le marché et par les coûts, autrement dire ce qu’a coûté la marque et ce qu’elle rapporte.

 

 

La méthode marketing, type Valomarques ou Sorgem évaluation est la plus dynamique.

 

Elle consiste à considérer la marque comme un actif « sécable », qui peut se valoriser, de façon autonome à la manière d’un immeuble. Il y a la valeur de l’entreprise (ce que font les experts-comptables) et la valeur de la marque. Celle-ci est quelquefois supérieure à celle de l’entreprise. La marque Biafine a ainsi été « payée » près de 100 millions d’euros, deux fois plus cher que l’entreprise, laboratoire familial mono-produit. La méthode marketing est fondée sur le croisement de 3 paramètres : les investissements, la communication et le marketing. Pour faire une évaluation correcte, il faut pouvoir en traiter au moins deux. Le 1er paramètre consiste à reconstituer les sommes investies depuis la création de la marque pour l’amener au point actuel. Le second mesure la notoriété. En s’appuyant sur plus de 4000 datas de la base de données, le logiciel reconstitue l’investissement nécessaire pour obtenir rapidement le même taux de notoriété.

 

 

La Contesse du Barry bénéficie d'une prime de marque pour son foie gras de 28% versus ses concurrentes

 

Le 3e paramètre, le plus pertinent est le marketing : on calcule la prime de marque (ce que le consommateur paye réellement plus cher pour les produits de cette marque) ramenée au chiffre d’affaires. Ainsi, la marque Comtesse du Barry a, sur son foie gras une prime de marque de 28% par rapport aux marques concurrentes moins référentes. La valeur de la marque a été évaluée en relation avec son chiffre d’affaires à près de 25 M€.

La méthode marketing est particulièrement adaptée aux « marques iconiques » qui ont souvent de fortes notoriétés et de petits chiffres d’affaires. Une marque iconique comme Von Dutch a été valorisée, selon la méthode Valomarques à 18 M€ avec un chiffre d’affaires en redémarrage et une marque comme Charles Jourdan à plus de 80 M€. La méthode marketing peut être un vrai plus pour les PME. Un propriétaire d’une jolie marque agro-alimentaire veut vendre son entreprise pour prendre sa retraite. La rentabilité est faible, le prix de cession risque d’être bas. Le calcul de la valeur de la marque a mis un peu de beurre dans la soupe de courges en ajoutant 1 million d’euros dans la transaction.

 

 

La marque Livret A a été évaluée à 400 millions d'euros grâce à la reconstitution des notoriétés assistées et spontanées... Une manne.

 

Et pour les marques non commerciales ? Voici une anecdote véridique. Début 2008, le président Sarkozy « donne » l’autorisation de distribuer le Livret A à toutes les banques. Or la marque Livret 1 appartenait à La Poste et aux Caisses d’Epargne qui l’avaient déposée. Elle fut évaluée à près de 400 millions en se fondant sur la reconstitution des notoriétés assistée et spontanée (de plus de 90%). Ce cadeau présidentiel a sans doute « coûté cher » à l’état français ! Combien coûte une telle intervention ? Selon les données déjà existantes, le temps de travail est de 2 à 3 semaines et le coût de ce travail se situe entre 3900 et 6900 € HT pour une marque. Les marketers ne doivent plus laisser cette partie stratégique leur échapper !

Georges Lewi

Mythologue, expert en marketing, spécialiste des stratégies de marques (branding) et du storytelling. Ancien professeur associé à HEC et à au CELSA (ParisIV Sorbonne) et auteur de 15 ouvrages

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L'Observatoire Influencia
 
 

Rédigé le 09 février 2021 dans 07 Pepiniere de Planneurs Stratégiques | Lien permanent | 0 Comments

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Corentin Monot, Chief Creative Strategy Officer chez Accenture Interactive : « comment réinventer l’autorité ? »


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A l’occasion de la sortie de notre numéro 35 « Inspirations 2021 », INfluencia lance un nouveau podcast. Chaque semaine un membre du Collectif du Planning Stratégique répondra à deux interrogations : « quelles sont les grandes questions que se posent les marques et auxquelles elles devront répondre dans les années à venir? », « Alors que nous vivons une période de gestion de crise inédite et au jour le jour, en quoi le planning est-il utile, indispensable même? ». La parole aujourd’hui est à Corentin Monot directeur des stratégies créatives chez Accenture Interactive, et membre fondateur du CPS. Bonne écoute.

 

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Capture d’écran 2021-02-09 à 18.52.18

 

Pour Corentin Monot, les marques doivent faire face à cinq grands enjeux : tout d’abord la confiance à tous les niveaux (politique, supply chain, etc.). Une situation paradoxale où une partie des marques perdent cette confiance qui faisaient leur force, tandis que d'autres semblent inspirer bien plus de respect que les insitutions en place depuis la pandémie. La dimension digitale, la santé,  la réinvention de l’habitat sont également au centre des préoccupations du directeur des stratégies créatives, enfin l’autorité, sujet qu'il développe également pour INfluencia.

 

 

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Rédigé le 09 février 2021 dans 05 Idees de Planneurs stratégiques | Lien permanent | 0 Comments

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