Il s’était décidément passé quelque chose lors de ce salon Femmes [email protected]ées 56 : un moment d’histoire orale collective spontané alors que des femmes d’Amérique latine nous avaient interpellées en nous demandant de leur raconter le cyberféminisme. Un blogue sur .dpi, la nouvelle revue électronique du Studio XX, avait créé des ponts. Des liens à des articles avaient été proposés pour nourrir des discussions. Or, si la connexion avec elles ne s’est pas produite en direct à cause de problèmes techniques sur leur serveur, ce vendredi 22 octobre 2004, nous nous sommes retrouvées entre nous pour prendre le temps de “tisser ensemble notre textile cyberféministe”. À vrai dire, peu d’entre nous ne s’étions franchement approprié le concept de cyberféminisme avant. Valerie d. Walker et Sharon Hackett, en tant qu’éclaireuses invitées par Caroline Martel, étaient là pour partager leurs expériences d’engagements pratiques et idéologiques sur le terrain et leur connaissance d’une histoire encore à faire au coeur de la raison d’être du Studio. Nous allions être allumées de réaliser à quel point XX avait été fondé lors d’un moment d’effervescence féministe remarquable à l’échelle planétaire, et dans un continuum situé entre des points jacquards et des récits futuristes cyberpunks. Voici des transcriptions des échanges – tantôt en français, tantôt en anglais – qui ont été captés par vidéo.
Le cyberféminisme et le rapport au politique et aux femmes du monde
Pascale Malaterre : “Qu’est-ce qu’il faut penser ? Dites-nous quoi penser !”
Caroline Martel : “Ce qu’on s’est dit, c’est qu’on allait parler de ce que cela représentait pour nous le cyberféminisme. On a ici des féministes de différentes générations Est-ce il y en a qui ont eu la chance de lire certains des textes ?”
PM : “Pour moi, le cyberféminisme, les logiciels, c’est vraiment d’abord un enjeu du pouvoir essentiel : les femmes doivent absolument s’approprier les technologies. Je suis pour investir le champ du politique. Je suis contre l’exclusion, dans le sens de dire “On est entre femmes, donc nous ne sommes pas politiques et nous allons rester hors du champ des méchants hommes, et nous allons nous victimiser et nous allons devenir des héroïnes de la victimisation” – je suis contre ça avec ferveur ! Je suis vraiment pour les femmes dans la Cité, dans le monde, dans le politique ; dans le pouvoir. Le pouvoir ça veut dire le rapport à l’argent, le rapport au politique, le rapport aux technologies. Alors voilà Et tout cela, sans condescendance envers les femmes du monde entier. C’est vrai que les logiciels ont été formatés pour des modélisations du cerveau anglo-saxonnes blanches, et, par extension, francophones aussi. On est tous d’une certaine façon américo-occidental Il ne faut pas se le cacher. Et quand je rencontre des gens qui ne sont pas d’Occident, je me sens vraiment dans un monde fracassé
Le rapport theoria/praxis à l’intérieur du cyberféminisme. La dialectique déconstruction/construction (du sujet femme, du féminisme?)
Sharon Hackett : “Moi je suis arrivée au Québec il y a maintenant 12 ans. J’étais déjà très intriguée par le cyberféminisme. C’était vraiment une époque où tout était possible, où on était en pleine déconstruction. On apprenait qu’on était des textes tissés d’intertextes, que nous sommes constamment en train de nous construire et aussi de nous inscrire pour ou contre les constructions que les gens essaient de faire pour nous. Et pour moi un des narratifs les plus puissants qui était tissé par des mots et des concepts divers, c’était le manifeste du cyborg de Donna Haraway, et plus largement tout son texte, Simians, Cyborgs, and Women. J’étais dans un moment du cyberféminisme où j’étais en train de me théoriser énormément et de chercher à me définir, de tout remettre tout en question ; on fait tous ça, TOUTES ça (hommes inclus), à une certaine époque et parfois toute la vie.
Puis je suis arrivée ici en 1992 et à partir de 1994-1995 j’ai commencé à donner des ateliers d’Internet à des femmes au Studio XX, à l’UQAM, à toutes sortes d’endroits. Après cela j’ai créé, avec beaucoup de réseaux de femmes, le réseau Netfemmes et j’ai plongé dans la pratique, dans le terrain. On mettait en place des réseaux de communication, on mettait de l’information sur le Web. C’est là que j’ai rejoins les femmes du monde. Au Québec, où il y avait pour moi des mouvements de femmes pluriels et très forts, j’ai plongé dans la pratique, mais toujours “informée” par le cyberféminisme.
Dernièrement, là où je travaille, on a mis en ligne des textes de groupes de femmes des trente dernières années. On archive plusieurs centaines de textes qui sont dans le réseau, mais tout cela sans trop théoriser, sans trop dire : “Est-ce qu’on est cyberféministes, féministes technologiques ou féministes de la communication ?” Donc, ce soir c’est une chance pour moi de confronter la théorie et l’action. Quand je dis que je suis une féministe technophile – ce que je dis depuis à peu près 7 ou 8 ans – et quand on parle de cyberféminisme, je voudrais demander : quelles sont les pratiques qui peuvent informer la théorie, quelle est l’action qui peut découler du cyberféminisme?
étant donné que je viens du monde littéraire et linguistique, j’ai regardé “cyber”. Savez-vous ce que cela veut dire le préfixe cyber? Ça ne veut pas dire “techno”, ça veut dire gouverner ou diriger. Oui oui ! Alors, si cyber veut dire diriger, est-ce que ça veut dire que le cyberféminisme est une opportunité pour les femmes de diriger ce que c’est que d’être une femme?”
CM : “En fait, moi je dirais oui. Je pense que dans le terme cyberféminisme, on fait référence au cyberespace, qui a été défini ou évoqué dans la littérature de science fiction du début des années 1980. C’est beaucoup dans les idées, l’imagination, l’invention de récits qui nous permettent de confronter les choses réelles. Déjà les cyberféminismes semblent être au pluriel, et ce n’est pas comme si le cyberféminisme est UNE des sortes de féminismes ; il y a des cyberféminismes aussi.
Le cyberféminisme pour le renouvellement du féminisme à travers le monde
CM : ” Il est intéressant pour le Studio XX de connaître l’histoire du Old Boys’ Network, parce que ce n’est pas un hasard qu’à sa base il y a beaucoup d’artistes, et des femmes du milieu universitaire également. J’ai surtout lu Cornelia Sollfrank, mais ce qui est intéressant avec le Old Boys Network, cest qu’elles ont décidé de prendre part à l’idée de cyberféminisme en le recréant un peu à leur façon. Je pense qu’elles ont pensé l’idée du cyberféminisme au début un peu comme un canular, comme un terme qui a l’air sexy, provocant – style “femmes branchées” – qui, au lieu d’attirer un “Ah, les féministes!”, de la négativité ou des clichés, pourrait attirer une forme de curiosité. Un peu une tactique pour déjouer les idées reçues autour du féminisme.
Femme dans la salle : “Une tactique de séduction !”
CM : Dans “Cyberfeminism Revolution”, Cornelia Sollfrank fait remarquer qu’il y a un romantisme associé avec des mots comme anarchisme, avant-garde, révolution. Peut-être n’y a-t-il n’y a pas cette aura là de romantisme autour de féminisme. Maintenant que l’idée de cyberféminisme date de presque 15 ans, une de mes questions est : est-ce qu’on gagne à s’approprier cette idée pour revendiquer une forme actuelle de féminisme ? Ou est-ce qu’on ne devrait pas tout simplement plutôt se dire qu’on est féministes et voilà, s’assumer directement comme cela Je pense qu’on est dans une “3e vague”
SH + VW : “Le féminisme libre et gratuit!”
CM : Il y a eu des sommets cyberféministes en Europe en 1997, 1998 et je crois en 2002. Le Old Boys Network au départ voulait éviter toute forme de définition. Mais je pense que ce qui définit le plus le cyberféminisme, c’est de dire que les réseaux permettent d’autres modèles d’interaction parce que “dans le cyberespace on ne peut pas se faire interrompre par les hommes”. C’est un peu l’idée du non-hiérarchique ; l’idée des réseaux comme espace à investir et dans lequel se redéfinir, mais en échange les unEs avec les autres.”
SH : “Il y a une dizaine d’années, on a des femmes un peu partout qui se sont mises à utiliser le Net pour réclamer pour elles une partie du monde. Par exemple, dans les pays de l’Est de l’Europe qui étaient communistes, surtout dans les nouveaux régimes où tout allait au capitalisme, il n’y avait pas d’endroit pour la pensée féministe, pas de presse ou d’études féministes dans les universités. Il n’y avait pas de ressources pour que les femmes connaître leur pensée et qu’elles le partagent même entre elles. Alors elles ont utilisé l’informatique, et surtout Internet, afin de reprendre une partie du territoire. Elles ont pu tasser un peu ce modèle hégémonique de l’autoroute de l’information et elles ont été capables de bâtir des routes secondaires qui menaient où elles voulaient. Par exemple en ex-Yougoslavie, le nombre de femmes qui savaient utiliser Internet et les technologies était en bas de 2% – ce qu’on a maintenant au Moyen-Orient. Mais celles qui étaient là et qui avaient le privilège d’êtres branchées l’ont fait autant que possible avec la conscience que même quand une femme n’a pas accès au réseau, elle a peut avoir accès à une autre femme qui a accès au réseau, peut-être même encore là par une autre femme Et c’est ça ce qui s’est passé aussi avec la Marche mondiale des femmes partout sur la terre en 2000 : il y a eu plus de 5000 groupes de femmes qui ont adhéré en moment c’est plus de 6000. Il y a au Québec 40% seulement de ces groupes de femmes qui sont branchés – même si pourtant ici on est super cyber – mais le 40% a été capables de rejoindre tous les autres groupes.
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SUR : Le Vide Poches
PAR : françois pérennès
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